Blog - Sébastien Mouchet

Pourquoi je suis allé en Sicile en train

Publié le 29 décembre 2023, par Sébastien

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Je ne suis pas un grand voyageur, mais j’ai été invité à un mariage en Sicile en 2022.

J’habite à Montpellier, ce qui fait à peu près 1 000 km de distance avec la Sicile, à vol d’oiseau.
Et en ligne droite, il faudrait traverser une partie de la Méditerranée.

La plupart des gens ne s’embêteraient pas, et prendraient simplement les billets d’avion les moins chers qui les amènent du point A au point B.

Ce n’est pas ce j’ai fait. J’y suis allé en train.

La raison est simple :
Le transport aérien a un coût environnemental inacceptable.

Une question de bilan carbone

Émissions de CO₂ en fonction du mode de transport
Émissions de CO₂ en fonction du mode de transport

Pour remettre les estimations ci-dessus en perspective, rappelez-vous que l’objectif est – en gros – de faire passer l’empreinte carbone de tout le monde sous les 2 tonnes d’équivalent CO₂ par an et par personne, d’ici 2050, pour maintenir la température planétaire dans les +2°C au-dessus des températures pré-industrielles.

J’ai estimé ma propre empreinte carbone à environ 4 tonnes de CO₂eq/an, en utilisant le simulateur suivant :

Clairement, c’est encore trop, mais il faut déjà faire des efforts significatifs pour y arriver.

En comparaison, l’empreinte carbone des Français est d’au moins 9 tonnes de CO₂eq/an par personne (en prenant en compte les émissions importées), et l’empreinte carbone par habitant des États-Unis est deux fois plus élevée (environ 18 tonnes de CO₂eq en 2018, là aussi, en incluant les émissions importées).

Ça veut donc dire qu’on dépasse tous notre budget carbone – en tout cas, pour tous ceux qui habitent dans des pays soi-disant développés – et qu’on doit tous faire tout ce qu’on peut pour contenir nos émissions de gaz à effet de serre.

J’ai utilisé le calculateur carbone de la Fondation GoodPlanet pour estimer les émissions de chaque mode de transport.

En avion avec une escale à Paris

Il y a un aéroport à Montpellier (MPL). Par contre, il ne propose pas de vols directs vers la Sicile.

Une manière de s’y rendre est de prendre un premier vol vers Paris Charles de Gaulle (CDG), puis un autre de Paris à Palerme (PMO), ou Catane (CTA).

Depuis Montpellier, Paris est quasiment dans la direction opposée par rapport à la Sicile, donc ça fait beaucoup de distance inutile.

Malheureusement, ce n’est pas le pire que j’ai vu. Certaines companies aériennes suggèrent un trajet avec 2 escales : une à Amsterdam (!), et une autre à Rome ou Milan.

Pour cette simulation, j’ai supposé que tous les déplacements entre les villes en Sicile se feraient en train (Palerme, Messine, Catane, Syracuse).

Comme vous pouvez le voir dans le diagramme plus haut, le transport aérien avec des escales est le pire, d’un point de vue du bilan carbone, avec 1,31 tonnes d’équivalent CO₂ pour 1 escale à Paris.
Cette valeur inclut l’impact des traînées de condensation.

En avion : vol direct

L’aéroport le plus proche qui propose des vols directs avec la Sicile est à Marseille (MRS).

Cette simulation implique d’aller à l’aéroport de Marseille Provence en train – le trajet prend moins de 2 heures – et d’opter également pour le train pour se déplacer entre les différentes villes de Sicile.

Depuis Marseille, il y a parfois des vols directs vers Palerme (à peu près 884 km) ou Catane (environ 1 064 km).
J’ai pris Catane pour les estimations.

Par rapport à l’option précédente, les émissions sont réduites de moitié (0,65 tonnes de CO₂eq), mais elles restent conséquentes.

C’est à la fois le moyen le plus rapide d’atteindre la destination – le vol dure moins de 2 heures – et malheureusement, le moins cher.

Le gens n’ont pas d’incitation financière à opter pour des moyens de transport moins émetteurs, et c’est en partie à cause de l’absence de taxes sur le kérosène.

En voiture : 1 personne

Honnêtement, ce choix là était purement théorique. Je n’ai jamais sérieusement envisagé de conduire sur plus de 4 000 km (aller-retour), tout seul, et principalement dans un pays étranger.

Aller de Montpellier à Palerme nécessite de conduire pendant plus de 20 heures – sans compter les pauses, et le temps passé à dormir.

Cela dit, il est intéressant de constater que le bilan carbone est pire que celui d’un vol direct, avec 0,97 tonnes de CO₂.

J’aurais utilisé une citadine essence pour tous les trajets (pas de train dans ce scénario).

En voiture : 3 personnes

Ça n’était pas très réaliste non plus, et n’aurait eu de sens que si la voiture avait servi à visiter un certain nombre d’endroits en Italie au cours du trajet.

Sauf que, des vacances de (moins de) 2 semaines ne suffisent évidemment pas pour visiter toute l’Italie.
En fait, on a même pas eu le temps de visiter toute la Sicile.

Ce scénario aurait impliqué de commencer par aller à Grenoble en train, ce qui aurait économisé quelques centaines de kilomètres (et un peu de CO₂).
À partir de là, j’aurais pris la route avec mes parents, dans un monospace diesel (un peu plus de CO₂ par kilomètre, donc).

Bien que le bilan carbone total soit légèrement supérieur à celui du scénario précédent, il faut le diviser par 3 pour calculer les émissions par personne (0,34 tonnes de CO₂).

En train

Aller de Montpellier à Palerme nécessite de passer environ 24 heures dans un train (plus de 2 000 km).
En prenant en compte les correspondances, le voyage prend encore plus que 24 heures.

Heureusement, le train qui va de Rome à Palerme est un train de nuit, donc on peut dormir dedans.

Mais, c’est pas une île, la Sicile ?

Si, et il n’y a pas de pont, ni de tunnel entre l’Italie continentale et la Sicile.

Du coup, les wagons du train sont chargés à bord d’un ferry à Villa San Giovanni (Calabre), et déchargés de l’autre côté, à Messine (Sicile) après un trajet de 20 minutes (environ 8 kilomètres).

Wagons sur le ferry
Wagons sur le ferry

À partir de là, une partie du train va à Palerme, et l’autre partie prend la direction de Syracuse.

Le calculateur m’a donné une valeur de 0,14 tonnes de CO₂eq.

Elle est peut-être légèrement sous-estimée, parce que les trains de nuits transportent généralement moins de passagers que les trains normaux, et parce qu’elle ne comptabilise pas la (très courte) traversée en ferry.
Elle n’est pas non plus personnalisée par rapport à l’intensité carbone du réseau électrique italien, et utilise une moyenne européenne.
Dans tous les cas, le bilan carbone est certainement inférieur à 200 kg de CO₂eq, ce qui fait du train la meilleure option, sans hésitation.

Impact des infrastructures

Bien sûr, voyager en train suppose l’existence de tout un réseau ferré, alors qu’un trajet en avion n’a besoin que de 2 aéroports : un au départ, et un autre à l’arrivée.

Par conséquent, on peut se demander si l’impact de la construction des infrastructures change le résultat.

En réalité, ça ne change pas la hiérarchie des modes de transport.

D’après Carbone 4, un cabinet de conseil, même en prenant en compte l’impact de la construction des véhicules et des infrastructures, l’intensité carbone du TGV (train à grande vitesse français) est environ 25 fois plus faible qu’un avion court-courrier, ou qu’une voiture thermique – en cas d’autosolisme.

À partir du lien ci-dessus, regardez l’histogramme du point 12 (« Est-ce qu’il vaut mieux voyager en avion ou en voiture, même seul ? »).

Pas étudié : le ferry

Il n’y actuellement pas de ligne de ferry entre la France et la Sicile.
Apparemment, il y en avait une en 2019, qui allait de Toulon à Trapani, mais elle n’a pas été prolongée.

Il est possible de voyager de Gênes (Italie) à Palerme (à peu près 800 km) en environ 21 heures.

Il est difficile de trouver des estimations fiables pour le bilan carbone du ferry.
De plus, elles varient fortement selon votre choix de voyager avec votre voiture, d’utiliser une cabine et/ou les autres services à bord (restaurant, etc).

Cependant, même les estimations les plus optimistes du simulateur suivant se placent moins bien qu’un trajet en train :

Et c’est en supposant que vous n’embarquez pas avec votre voiture, que vous n’utilisez pas de cabine (pas idéal pour un trajet qui dure 21 heures…), ni les autres services comme le restaurant.

Une estimation plus réaliste (3 personnes dans une cabine + restaurant) porte le bilan carbone à une valeur plus élevée qu’un vol direct…

Bien sûr, il faut prendre les estimations du simulateur avec des pincettes, mais ça n’est quand même pas très flatteur pour le ferry.

Conclusion

Il est évident que le train était l’option à privilégier, d’un point de vue du bilan carbone.

Je ne me suis en fait jamais déplacé en avion, et je n’ai pas l’intention de changer ça.

J’ai été choqué d’apprendre que seulement 15 à 20 % des Français n’ont jamais pris l’avion. Quelle bande de privilégiés sommes-nous, franchement ?

À l’échelle mondiale, c’est l’inverse : environ 80 % des gens n’ont jamais voyagé en avion.